La Centrifugeuse du Poulpe

Nous avons pris possession des lieux début octobre 2022 au sein d ‘un hangar sur le site Euroshelter de la Courrouze dans le cadre d’une implantation transitoire liée au projet des Halles en Commun, hébergés par Territoires.

La Centrifugeuse est portée par la compagnie Kali&co, Massimo Dean et Céline Bouteloup. L’aventure de la création du spectacle est l’ancrage qui fait émerger le fruit du travail et du processus menés en prémices par Massimo Dean et la constellation de complices travaillant avec Kali&Co, depuis une dizaine d’années, processus au cœur duquel le rêve d’un projet plus conséquent était en gestation et nécessité profondes, en résonances avec les préoccupations sociales actuelles et de la multitude des protagonistes et des partenaires mobilisés sur le projet spécifique de « Le Rance n’est pas un fleuve ».

Nourris de l’expérience de terrain depuis 10 ans et davantage encore depuis le travail engrangé sur l’aventure de « Le Rance n’est pas un fleuve » pendant 3 ans, et de l’appétence que ce projet rencontre, nous en arrivons au constat qu’il est plus que jamais le moment de soulever le défi et l’ambition de le mettre en acte via la nécessité d’investir un « espace » hybride et transversal dédié à la création artistique. Travaillant avec des personnes en grande précarité ( sociale, familiale, psychologique, économique) nous ne pouvons pas proposer en face un contexte de travail qui soit lui-même en précarité…sachant que nous avons cheminé en « nomadisme », dans les structures sociales, ou d’accueil,  trouvant des lieux au fil des actions et du répondant des partenaires.

Le défi d’ouvrir un « foyer » qui puisse être un lieu qui appartienne à tous. Nous tenons particulièrement avec ce projet à décloisonner les espaces, à permettre une porosité entre les mondes qui se frottent mais ne se rencontrent pas. Ouvrir les espaces, laisser les portes ouvertes, permettre les rencontres dans le « s’interroger ensemble », le « faire ensemble »….et offrir un point d’ancrage à l’équipe noyau déjà constituée, composée de personnes issues des marges ( réunissant des profils très différents de 18 à 65 ans, personnes à la rue, en foyer d’hébergement, en hébergement d’urgence, en habitat mobile, en centre de réadaptation) et ouvrir cet ancrage aux multiples autres individus voulant s’inscrire dans une telle démarche.

Cet espace aspire à faire laboratoire, en accueillant l’expérience de concevoir des aventures artistiques sur des modalités qui s’émancipent des sentiers battus et en ouvrant à une réappropriation du désir et des actes artistiques. Un lieu d’expérimentation dans lequel, la création, l’économie de la création, l’horizontalité des pouvoirs et les systémismes de fonctionnement soient mis en question pour formuler en acte un espace « utopique », éphémère, dans lequel nous avons l’envie d’investir et de s’investir. Pour nous et pour les autresCet espace unique a pour vocation de faire alliance dans l’expérience du multiple comme de faire l’expérience de l’alliance du multiple.

L’aventure d’un espace où l’art et la création artistique dans tout son spectre permettent aux autres disciplines de donner la possibilité aux « hommes » de « devenir » * comme dirait Deleuze. Un projet concret d’appropriation par tous, dans lequel chacun puisse trouver une raison d’y être et d’en être, avec du sens pour lui, au-delà des écarts, des parcours, des classes sociales, des fonctions, des âges et des genres. Un espace-ruche d’abeilles ouvrières, toutes travaillant pour un même but, mais chacune dans son espace idéal.

*« Devenir», c’est sans doute d’abord changer: ne plus se comporter ni sentir les choses de la même manière; ne plus faire les mêmes évaluations. Sans doute ne change-t-on pas d’identité : la mémoire demeure, chargée de tout ce qu’on a vécu ; le corps vieillit sans métamorphose. Mais « devenir» signifie que les données les plus familières de la vie ont changé de sens, ou que nous n’entretenons plus les mêmes rapports avec les éléments coutumiers de notre existence : l’ensemble est rejoué autrement.                                                                                           François Zourabichvili à propos du Devenir chez Deleuze

Un lieu d’expérimentation : un « Emmaüs artistique »

Nous mettons en place une centrifugeuse, qui assemble toutes les initiatives et les actants du projet artistique disséminés sur le territoire rennais avec la constellation des partenaires, qui soit le lieu de rencontres et de montages dédié au projet de création, et le lieu où la création puisse s’installer et vivre.

Le projet de création artistique est le cœur de la centrifugeuse. C’est autour de ce projet que se réunissent dans cet espace collaboratif les participants au projet (les personnes issues des marges, les jeunes lycéens, les artistes, les habitants, les professionnels de structures, d’associations, les enseignants). Le principe fondateur réside dans le fait de considérer tout participant volontaire comme acteur-responsable tout au long du processus de création.

La centrifugeuse : un lieu de rencontre de savoir-faire, de réappropriation du geste créateur. C’est un lieu de l’expérimentation possible : je conçois, j’invente, je prépare et si je rate, je recommence. L’entraide entre les membres collaborateurs et co-acteurs est le maître mot. Cet espace a pour vocation d’être fédérateur d’une grande mixité sociale et culturelle et d’être révélateur d’un potentiel d’expérimentation. Il trouve écho aux réflexions des professionnels de santé ou du travail social de la nécessité sur le territoire d’un espace de ce type.

Nous pensons à cet espace comme une fabrique des possibles , un « Emmaüs artistique » : que tous soient protagonistes, agissants et responsables du développement du lieu, que le lieu génère son fonctionnement transversal et hybride, qu’il ne soit pas seulement un lieu d’accueil mais un lieu du faire, qui puisse engranger son système économique propre, qui puisse à terme également être générateur de création d’activités sortant du champ du bénévolat et/ou de l’assistanat et puisse devenir un lieu générateur d’activités entrant dans le champ professionnel et rémunérateur pour ses protagonistes. Un lieu qui fasse l’alliance des forces centrifuges et centripètes, à l’image du graphisme de la spirale où dans l’apprentissage de l’écriture, en partant du graphe (suivre la spirale de l’extérieur vers l’intérieur, puis l’inverse), on apprend à former les courbes, puis les lettres, pour savoir écrire de soi-même.

L’aventure de « Le Rance n’est pas un fleuve » et l’expérience menée depuis des années nous amènent à la nécessité d’avoir un tel lieu dédié où les expérimentations puissent trouver leur ancrage, d’inverser en quelque sorte le « nomadisme » ; ce n’est plus le projet de création qui est accueilli ici et là, c’est le projet de création qui a son lieu qui peut accueillir et fédérer tous et toutes, dans leur individualité, leur diversité et leur désir commun.